SARAH ANDELMAN
Mon rêve.
« Mon rêve avec cette nouvelle aventure c’était de me coucher tous les soirs avec zéro emails non-lus et je suis déjà en retard ! »
Tandis que j’imagine l’espace d’une seconde Sarah Andelman en lapin affolé consultant une Apple Watch Edition céramique, élégante et inaltérable, je me dis que du lapin, aussi blanc que l’est son immense bureau, elle a, certes, la timidité, mais point la voix, ni les genoux qui tremblent. Pourtant, parfois, elle chuchote presque, à tel point que certains mots comme “fière”, disparaissent brusquement dans quelque poche de sa conversation. À n’en point douter, Sarah, co-fondatrice avec sa mère Colette Rousseaux du célèbre concept store colette, nous fera encore cavaler après elle, nous entraînant dans quelque nouveau pays aux étagères et aux proportions délirantes, peuplé de personnages aussi paradoxaux qu’inoubliables.
Et c’est sans doute pourquoi, aujourd’hui, si peu de temps après la fermeture du magasin en décembre 2017, nombreux sont les studios qui ont fait appel à son flair infaillible et à son inégalable capacité de connexions. « J’ai très vite été sollicitée par différentes marques que je connaissais bien pour des projets en amont de leur distribution / diffusion et j’ai répondu présente. Je suis donc à faire du consulting, du curating avec beaucoup de projets très différents les uns des autres pour des marques en France ou à l’étranger liées à la mode, au street wear, à la beauté ou au design et à proposer des collaborations pour certaines. »
La suite du pays des merveilles, comme peu le savent, c’est l’autre côté du miroir. « C’est intéressant d’être de ce côté là de la création parce que pour certaines marques mode, j’avais passé tellement de temps dans des show-rooms à faire des sélections de vêtements pour le magasin et je ne m’étais jamais trop posé la question de comment naissait une collection. Pour moi, tout le travail du développement d’un vêtement, enfin je n’aurais pas dit que, c’était “simple”, mais je ne réalisais pas toutes les étapes qu’il y avait en amont. Pour une marque en particulier, dont je fais partie de la stratégie, je vois désormais le processus qui va du mood board, à la commande des tissus, aux essayages et aux corrections sur le corps, c’est beaucoup plus long que ce que j’imaginais. On est tellement habitué à ce que tout aille vite, limite on dessine un vêtement sur un ordinateur, on appuie sur un bouton et ça sort comme d’une imprimante, enfin peut-être bientôt !… »
Peu de temps avant la fermeture du magasin, qui dédiait déjà alors son dernier étage à une marque, c’est en pleine séance de collaboration avec la marque japonaise Sacai qu’est né le nom de son nouveau projet Just an idea : « Je n’arrêtais pas de dire “et si on faisait ça et si on faisait ça, c’est juste une idée”, parce que parfois c’est bien d’en rajouter, c’est important de ne pas fixer les choses et d’y rester bloqué, de toujours garder une flexibilité et une souplesse, d’être ouvert pour dynamiser un projet. Le nom est venu comme ça et c’est très vaste et c’est ce dont j’ai besoin. »
Aux mots à peine prononcés “workaholic” (“bourreau de travail” en français), Sarah précise qu’elle préfère le terme de “gourmandise”. En tout cas il n’était pas question que sa nouvelle agence prenne son nom, et même si on lui assure qu’il aurait attiré de nombreux et nombreuses inconditionnel•le•s, elle n’y croit pas et préfère penser que c’est surtout la multiplicité et la qualité de ses contacts qui auront cet effet.
Pour le rythme, s’il était intense du temps de colette, avec un changement de vitrine toutes les semaines et une exposition tous les mois, il ne l’est pas moins aujourd’hui. « Je me retrouve à avoir l’impression que je travaille plus qu’avant quand évidemment je travaillais beaucoup, mais il y avait une telle liberté et tout tournait, là je me sens très responsable vis-à-vis des personnes qui me font confiance et que je n’ai pas envie de décevoir. »
En rangeant les archives du concept store parisien dont la longévité fût exceptionnelle, Sarah raconte être tombée sur de vieux flyers comme celui d’une expo des Neistat Brothers en 2005. Elle se souvient d’une photographe comme Rinko Kawauchi, ou, côté mode, d’avoir eu la chance de découvrir très tôt des créateurs comme Jeremy Scott ou Rodarte et beaucoup d’autres artistes dont elle a pu voir l’évolution au fil du temps comme Kevin Lyons, Darcel ou Soledad Bravi, qui sont devenus comme des membres de la famille autour du magasin. « Il y a eu aussi les événements comme les « colette dance class » et la “fierté”, qu’elle prononce tout bas, « du carnaval des 15 ans et pour les 20 ans, d’avoir fait venir jusqu’au musée des Arts Décoratifs, la piscine à balles géantes de Daniel Arsham et Alex Mustonen. »
On évoque ensemble les wise women et le féminisme. Elle n’est pas très “discussions entre copines”, plus souvent dans ses emails, et quant à l’égalité, « pour moi, elle est là, j’ai du mal à imprimer qu’elle n’y est pas, même si je le sais, je vis comme si elle était là ». Pourtant, au moment où je lui fais part de mon hésitation à lui poser quelques questions personnelles, parce que j’ai lu quelque part qu’elle n’aimait pas ça, elle contredit joliment ce modeste féminisme, en me confiant avec ardeur ces dernières phrases, pleines d’amour pour la femme et la collaboratrice la plus importante de sa vie :
« Ma maman est très importante pour moi, je l’ai emmenée à un concert de Janelle Monae hier soir ! Elle a travaillé toute sa vie non stop et aujourd’hui, elle est vraiment à la retraite, elle profite à fond de son petit fils Woody et elle se promène, mais elle m’accompagnera sur certains projets, c’est sûr. On est vraiment un duo, c’est tellement naturel que parfois je ne comprends pas quand certaines femmes ne sont pas plus proches de leur mère, mais évidemment ça dépend de leur mère. Ça fait partie de ma personnalité, j’ai beaucoup de respect pour elle. »