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VIOLETA SANCHEZ

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Le smoking parfait.





Dimanche. Le dimanche le plus froid de ce mois d’octobre. On vient de passer à l’heure d’hiver et la nuit tombe déjà quand Violeta me donne rendez-vous à la Perle. La salle du fond est remplie d’habitués ou de badauds, cherchant abri et boissons chaudes, alors je cherche un peu loin, dans la rue Vieille du Temple, un endroit où discuter. On se retrouve au Saint Gervais dans un brouhaha de FM, de matchs de foot, de bébés, de cuillères, et de cafetiers décontractés, élevant la voix par dessus des pots de lait chauffés à la buse-vapeur. « Il lui dit : attend le camion il est pas parti, attend un peu, il est pas arrivé, tu peux attendre deux minute quoi, le machin il arrive à 10h, parce que l’autre fois il m’a dit, j’ai pas le temps moi… ».



Moi j’ai le temps et j’écoute Violeta Sanchez, dont la silhouette menue, doucement, s’impose, drôle et grave, captivante. Elle me raconte comment, il y a de cela quelques décennies, elle fût, en quelque sorte, déposée au sommet de l’Himalaya, en hélicoptère !



« Alors comment je suis arrivée là ?… Vers 1978, je vivais avec un acteur très jeune, je faisais ma première année de fac et il avait un rôle dans le Rocky Horror Picture Show, il jouait la créature, et les personnes qui avaient adapté ça en français étaient des écrivains de théâtre argentins, Raphael Lopez et Javier Arroyuelo, des dissidents du groupe TSE, qui ont ensuite écrit leurs propres œuvres. Ils m’ont alors proposé des rôles, enfin, dans une pièce, plusieurs rôles différents, et je les avais bien informés que je n’étais pas actrice mais ils m’ont dit « non mais alors ça, c’est vraiment aucun problème pour nous ». J’ai dit « OK, alors à la condition que si ça ne va pas, vous me le dites et si ça ne se passe pas bien, je peux arrêter sans que ce soit un drame » et ça s’est super bien passé et puis il se trouvait que l’un des deux vivait avec Paloma Picasso et qu’elle avait fait les décors et les costumes, donc le soir de la première c’était très mondain enfin très parisien, et pour cette première, avec mon cachet des répétitions, je m’étais fait faire un smoking parce que j’étais très cinéphile, et que j’étais très influencée par la garde-robe de Marlène qui s’habillait souvent en homme, et de Garbo, aussi. J’avais un gabarit qui n’était pas de l’époque, les tailles ne me correspondaient pas. J’étais trop mince, et quand les choses m’allaient en largeur, elles ne m’allaient pas en longueur, et de toute façon je n’avais pas de sous, donc je m’habillais souvent aux puces, je chinais des costards et des chaussures de premiers communiants, je m’habillais beaucoup comme ça, en garçon, mais pas que, j’aimais bien me déguiser, enfin bref je suis arrivée à cette première avec un costume sur mesure que j’avais fait faire chez un tailleur dans le 8e arrondissement, c’était Paloma qui m’avait envoyée là. Quand il m’avait vue arriver, il m’avait dit : « Mais mademoiselle je n’habille que les hommes » et il m’avait regardée et avait ajouté « oui enfin vous, les épaules, pas de seins, pas de hanches, on va peut-être y arriver ». Et il m’a fait un smoking que je porte encore aujourd’hui. Un smoking parfait. Donc je suis allée à ce dîner de première habillée comme ça. »



Et c’est ainsi que tout commence et que Violeta met un pied dans l’hélicoptère, direction l’Himalaya. Pour commencer, à ce dîner se trouvait toute la maison Saint Laurent qui avait assisté à la pièce. Elle passe une très bonne soirée. « On m’avait assise à côté d’un charmant monsieur très drôle à l’accent légèrement étranger ». Le monsieur est photographe et lui demande si elle accepterait de poser pour lui. « Mais ce serait des nus » lui précise-il. Violeta qui, à l’époque pose de temps en temps dans les académies de dessin de la rive gauche, n’est pas du tout embarrassée par la nudité, surtout si la demande est sans ambiguïté, ce qui était le cas puisque sa femme, très sympathique aussi, était assise en face d’eux. « Et donc on a fait ces photos, dans mon petit appartement à Bonne Nouvelle. Et c’était Helmut Newton. »



« Et puis quelques temps plus tard au théâtre je reçois un coup de téléphone : « C’est la maison Saint Laurent, on vous a vu sur scène et on aimerait beaucoup que vous fassiez la pose pour la haute couture, si vous êtes libre. Alors je dis “Ben non, je ne peux pas faire ça, je ne suis pas du tout mannequin, j’ai jamais mis les pieds sur un podium alors la haute couture chez Saint Laurent, non, je ne peux pas. Silence interloqué, ha bon, désolé, tant pis. Paloma débarque dans ma loge le soir-même « on m’a dit qu’on t’avaiT proposé la pose chez Saint Laurent et que tu avais refusé ? En plus tu peux le faire c’est dans la journée ». Je lui dit « mais Paloma je ne sais pas faire ça ». Et elle me dit « ho, ils m’ont proposé de voir le défilé avenue Marceau… Viens… Tu décideras après. » Violeta assiste au défilé et c’est un véritable choc esthétique. Elle découvre ces pièces de couture que l’on voit rarement de près, à moins d’être une fille d’ambassadeur, et jamais quand on n’a même pas les moyens de s’acheter Vogue. Elle est éblouie et, à la sortie, Madame Munoz, la directrice de studio, les salue et lui demande ce qu’elle en a pensé. « Eh bien, je suis complètement subjuguée… Est-ce que je peux changer d’avis ? » Alors elle me dit : « Mais bien sûr » ».



Violeta m’avoue que sa vie n’est faite que de ces hasards, de ces étranges coïncidences. Elle fera une longue carrière chez Saint Laurent, comme il est rare d’en faire aujourd’hui et comme il était bon à l’époque de retrouver les mêmes filles de Milan à New York, même passé la trentaine, complices et toujours belles. Elle retrouve aussi son ami Newton quand la Maison Saint Laurent n’arrive pas à s’entendre avec lui pour choisir une fille et qu’on lui propose la petite actrice qui vient d’arriver, celle qui n’a jamais eu pas le profil car trop bizarre pour les premiers rôles et trop remarquables pour les seconds. Yves et elle s’entendent à merveille sur leur vision cinéphile mais il ne l’imagine jamais sexy, elle n’aura pas droit à ses drapés historiques pour cambrures et hanches rebondies. « J’en étais malheureuse ! » s’amuse-t-elle encore. Pour Yves elle était Lady Macbeth, « je portais de grandes robes avec du velours, très dramatique, des voiles sur le visage », ou garçonne, dans des tailleurs très androgynes.



Les années passent et elle se dit qu’un jour on lui dira « vous ressemblez énormément à un mannequin que j’adore, Violeta Sanchez » et que ce jour-là ce sera le début de la fin. Et ce jour arrive, et le jeune homme qui lui pose la question, c’est Olivier Saillard, l’actuel directeur Palais Galliera, musée de la mode. Elle lui répond « Eh ben c’est moi !». Cela n’aura pourtant rien d’une fin mais, une fois encore, d’un très beau commencement. De la mode, Olivier la ramènera au théâtre avec une nouvelle théâtralité. Violeta prête sa voix, entre autre, à ses défilés parlés dont les vêtements sont décrits. Et cette performance deviendra une tradition pendant la couture. Plus tard, toujours avec lui, elle raconte en les défilant, une série de pièces incroyables récupérées par une sorte de chiffonnière éclairée : des habits rapiécés comme des Paul Klee, des manteaux comme de la dentelle, bouffés par les mites et d’autres, délavés, bouffés par la lune.



Violeta s’était retrouvée au théâtre comme elle s’était retrouvée chez Saint Laurent, ce n’était pas son métier. Elle rencontre ainsi encore Guy de Cointet, mais c’est en passant une audition qu’on la recommande à lui. Le hasard ici, c’est qu’elle le rencontre juste avant qu’il tombe dans l’oubli et que bien plus tard, il devient une icône absolue pour les deux ou trois dernières générations d’étudiants et d’artistes. On fait alors appel à elle pour rejouer ses pièces. Elle les joue encore aujourd’hui, « Tell me », « Comme il est beau » ou « de toutes les couleurs », il y a eu plusieurs titres. Guy un jour avait dit « le rôle du docteur Abraham c’est pour Violeta, je l’ai écrit pour elle et si elle n’est pas libre on ne le fait pas ». Mais ça, elle ne l’avait appris que vingt ans plus tard.



« Comment s’appelaient la pièce de ces auteurs argentins où tu portais ce parfait smoking, d’ailleurs ? », lui demanderai-je plus tard.



« Succès » me répond-t-elle, comme une évidente et inévitable coïncidence de plus.



La dernière qu’elle me confie, et qui lui plaît beaucoup, c’est que Guy de Cointet et Yves Saint Laurent étaient allés dans le même lycée à Oran avant d’arriver à Paris !

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